Récit d'une rencontre avec ADRET Electronique
 
 
 
 
 

 

 

 

Comment naît une passion…
Les multimètres de précision…

Tout a démarré par l’acquisition d’un multimètre 6 ½ digits, un Fluke 887AB.

L’équivalent neuf est vendu à un prix astronomique. Ce n’est pas un appareil numérique à proprement parler, puisqu’il possède un galvanomètre. On aurait tendance à le qualifier de vieillerie. Ce serait une erreur. C’est un voltmètre différentiel analogique construit sur le principe du pont potentiométrique. On pourra consulter avec profit l’article des techniques de l’Ingénieur, «Mesure et détection des très faibles tensions» de M. J.C. Folliot (en particulier le §1.7 s’intitule «Illusion des mesures numériques»).

Qu’est-ce qu’un multimètre 6 ½ digits ? C’est un multimètre équipé d’un afficheur à 7 chiffres dont le premier chiffre à gauche ne peut être que zéro ou un. D’où le ½. En fait, il n’est pas nécessaire d’avoir l’affichage d’un zéro à gauche, un point symbolisant la virgule suffit.

Pourquoi chercher à acquérir un multimètre de cette précision ?
Tôt ou tard, l’électronicien amateur est confronté à un problème de précision des mesures. Les appareils du commerce, abordables, étant de précision médiocre, ne conviennent plus.
La conception d’un thermomètre à sonde de platine Pt100 piloté par un microcontrôleur pic de la famille Microchip dont un on désire une précision mieux que le 1/10 de degré impose déjà l’utilisation de multimètres performants. 

Outre un problème de calibration, qui est aussi étudié dans ce site, j’ai été amené à me plonger dans la documentation constructeur du 887AB (fort bien faite) pour un problème de maintenance. Tout   y  est décrit dans le moindre détail !
Un multimètre 6 ½ digits «chatouille» le microvolt, i.e. le millionième de volt !
On se demande comment peut-on faire pour diviser une tension aussi finement et comment on fait les ingénieurs pour arriver à cette précision.
Il existe maintenant des multimètres 8 ½ digits comme le Agilent HP 3458A.Une précision de 0.1 ppm ! 

 

Le diviseur de Kelvin Varley…

En épluchant la documentation du 887, on découvre le cœur du système : Le diviseur de Kelvin Varley.

Quelle idée géniale ! Quand je me suis plongé dans la théorie, j’ai repensé à la phrase qu’avait prononcée au cours d’un séminaire Georges Lochak, le dernier collaborateur du physicien Louis de Broglie, prix Nobel de physique :«il faut être génial, pour avoir des idées géniales !».

Quand on tape sur un moteur de recherches, «diviseur de Kelvin Varley», on trouve beaucoup de sites. Mais pas d’explications vraiment satisfaisantes. Je n’ai trouvé des informations exploitables que dans la base documentaire des techniques de l’ingénieur, en particulier l’article de Gérard Trapon intitulé «Méthodes de zéro en courant continu» R955 § 4.Mesures à l’aide d’un diviseur de tension Kelvin-Varley p.14.

Pour fixer les idées et montrer la complexité mise en œuvre, voici le schéma d’un diviseur de kelvin-Varley de rapport k = 0,24356, c’est-à-dire que la tension de sortie est égale à la tension d’entrée multipliée par k :

C’est un diviseur à 5 décades, les 4 premières décades contiennent 11 résistances, identiques pour chaque décade, et la 5ième décade contient 10 résistances, soit un total de 65 résistances.
L’architecture résistive est astucieuse.
La mise en place est impressionnante dans un appareil.

D’autres appareils utilisent le même principe, en particulier le Fluke 720A. Un appareil à 7 décades, à auto-calibration. Une pure merveille ! Inaccessible pour un particulier. On peut dire que le 720A est la concrétisation de l’idée du diviseur de Kelvin Varley.

ADRET électronique…

En poussant encore plus loin, les recherches par mot clé, on finit par tomber sur un brevet  :
«Générateur étalon de tension continue ou de courant continue» Inventeur : Roger Charbonnier, société dite ADRET-Electronique résidant en France (Seine), demandé le 1er avril 1966. Brevet d’invention n°1.484.701 en français.

L’inventeur,Roger charbonnier,  décrit tout d’abord le diviseur de Kelvin Varley, en des termes qui sont d’une clarté peu courante !
Il précise en ce qui concerne la précision espérée d’un diviseur de Kelvin-Varley :

 « – Il s’en suit que, si on veut par exemple que le dernier chiffre du coefficient de transmission soit exact à dix pour cent, les résistances constituant le circuit 20-21 devront être calibrées à mieux que dix pour cent, celles du circuit 14-15 à mieux que dix pour mille, celles du circuit 8-9 à mieux que dix pour dix mille et celles du circuit 2-3 à mieux que dix pour cent mille. »

Il n’y a pas de doute, l’inventeur maîtrise son sujet. Nous n’avons vu nulle part mention de la précision des résistances dans la base documentaire.

Plus tard, Michel Gérard, le responsable qualité chez ADRET nous dira : «Roger Charbonnier était un génie !»

Puis, dans son brevet, Roger Charbonnier  ose présenter une idée révolutionnaire, dans laquelle il explique qu’il peut obtenir la même chose avec une méthode complètement différente, une découpe temporelle d’une tension de référence, suivie d’un filtre passe-bas, la transformée de Fourier  faisant le reste, on obtient la tension désirée !

La lecture de ce brevet donne des vertiges ! C’est incroyablement intelligent ! Il fallait y penser, c’est sûr.
Plus tard, Max Jourdran, ingénieur d’études chez ADRET,  nous dira que ramener la mesure d’une tension à une mesure de temps est ce que l’on peut faire de mieux car le temps est le paramètre que l’on sait le mieux mesurer.

Chemin faisant, je me suis mis à la recherche des appareils  qui concrétisaient ce brevet : ce sont le 104A pour la tension et le 103A pour la tension et le courant.
 J’appris plus tard que ces appareils furent commercialisés en 1980 donc bien après le dépôt du brevet. C’est donc qu’il devait exister un ancêtre au 104A. Après enquête, effectivement, un 102 fut conçu en 1966 et commercialisé en 1967.
Voici le 102 :


 

Je réussis à acquérir le 104A à pris d’or, puis le virus ADRET fut attrapé en même temps.

Mais, le brevet ne permettait pas une analyse  détaillée du fonctionnement de l’appareil 104A. La documentation fut difficile à obtenir : elle traînait chez un américain fort sympathique, qui à force de mails de sollicitation, finit par me la scanner.
La doc est très claire, fort bien conçue. Je découvre dans la partie calibration et maintenance un nouveau concept : l’arbre de défaillance. Les schémas détaillés y figurent aussi. Les composants constituants ces appareils sont des composants courants, facilitant ainsi leur maintenance.

J’abdiquais quant à la recherche du 103A. Trop précieux, les possesseurs le gardaient jalousement. J’ai même rencontré un fournisseur spécialisé dans l’instrumentation qui en possédait un sans jamais l’utiliser : « – je ne m’en sers jamais, mais je ne m’en séparerai jamais !» m’a-t-il dit !

J’eu alors l’idée d’un  projet de création d’une réplique du 103A à partir de composants modernes, utilisant en particulier un microcontrôleur pic ou mieux DsPic de la famille Microchip, justifiant par là même la 3ième vocation du site : faire «renaître» ADRET par la conception et la création.
Un électronicien passionné  qui m’avait fourni un générateur ADRET 740A me dit,  quelque temps plus tard, qu’il avait eu aussi une idée du même genre à propos du 740A : remplacer la carte CPU par quelque chose de plus moderne à base de microcontrôleurs.

 

Les brevets…

Une recherche sur le site http://ch.espacenet.com/intro/introfr.htm , l’office européen des brevets me permit de découvrir une quantité impressionnante de brevets déposés par ADRET, quelques 70 brevets !
Il y a brevets et brevets. En effet, beaucoup de brevets ne sont que des améliorations de  dispositifs existants. Par exemple, Alsthom dans la mise au point du TGV déposait très régulièrement des brevets chaque fois que les ingénieurs trouvaient des améliorations. Ces brevets là n’étaient pas fondamentaux.
A contrario, ADRET déposa un nombre impressionnant de brevets dits fondamentaux, i.e., qui apportent quelque chose de résolument nouveau.
Je n’étais pas au bout de mes surprises avec cette société. 
 Un des inventeurs les plus prolifiques fut sans doute M. Joël Rémy, qui fut directeur des études et recherches. Là encore, la lecture des brevets donne le vertige. La complexité, cette fois-ci, s’accroît de plusieurs ordres de grandeur.
C’est ici que j’ai  compris tout le sens de l’expression  de M. Michel Martin, ingénieur technico-commercial chez ADRET : «Le savoir faire Français».
M. Joël Remy fut en particulier le patron, chez ADRET,  de la conception d’un appareil assez révolutionnaire à l’époque : le 7100. C’est un générateur à haute pureté spectrale, le premier au monde à être géré par microprocesseur. L’étude a été faite en 1975  et l’appareil fut lancé en 1978.

L’acteur  important dans cette conception fut M. Gérard Sauvage sans qui le projet n’aurait jamais pu aboutir.
Là encore, on constate, en cherchant sans la base documentaire des brevets que Gérard Sauvage est aussi un inventeur. Des brevets furent déposés en son nom.

Finalement, l’ADRET 7100 fut l’aboutissement des plusieurs années de recherche. C’était le haut de gamme des appareils ADRET.

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L’historique de la conception du 7100 vaut la peine qu’on s’y intéresse.
Gérard Sauvage  fut embauché, après son D.E.A., Diplôme d’Etudes Approfondies, comme stagiaire de thèse par Joël Rémy. La thèse de Gérard Sauvage portait sur le bruit en électronique (Théorie et mesure du bruit de phase des oscillateurs – 1974–) . Gérard Sauvage était non seulement théoricien mais avait également des compétences pratiques. Il avait une formation de physicien à la base.  
Un autre chercheur Jacques Rutman, théoricien celui-là,  fut également embauché quelques mois auparavant. Jacques Rutman était docteur d’Etat et sa thèse, soutenue en 1972,  s’intitulait «Bruits dans les oscillateurs. Application à la métrologie des fréquences et à la spectroscopie hertzienne. »
C’était la première fois qu’ADRET embauchait des chercheurs.
Il faut remarquer ici la décision d’ADRET assez novatrice à l’époque. En effet, il n’était pas courant qu’une petite  entreprise embauche des chercheurs. C’était plutôt l’apanage des grands organismes de recherches comme le CNRS par exemple. D’autre part, les entreprises estimaient, à juste titre, qu’un Docteur d’Université était moins performant sur le plan industriel qu’un diplômé d’une Ecole d’Ingénieurs.
 Néanmoins, ce fut chose faite. Gérard Sauvage travailla en quasi autarcie chez ADRET pendant 3 années, concevant pas à pas ce qui allait être une véritable révolution sur le marché des générateurs : le 7100.  Quand le 7100 fut prêt, rien d’équivalent au monde n’existait. ADRET avait mis knock out tous les plus grands sur ce coup là et avait acquis plusieurs années d’avance vis-à-vis des plus grands concurrents (Hewlett Packard, Rohde et Schwarz, etc…)
Un récit plus détaillé est disponible dans la rubrique témoignages des anciens. 

Plus tard, la licence fut vendue à un américain AILTECH, qui commercialisa une exacte réplique, l’AILTECH 460 :

            En réalité, espérer vendre des appareils de haute technologie aux Etats-Unis était une entreprise vouée à l’échec. Même le meilleur appareil au monde n’aurait pu être vendu là-bas, ne serait-ce que pour des raisons d’amour propre. La seule façon d’y arriver a été de vendre une licence aux américains. Mais ce qu’il faut savoir, et c’est Max Jourdran qui nous a fourni cette information, c’est que les cartes de l’AILTECH 460 étaient fabriquées par ADRET qui renvoyait la copie du 7100 en pièces détachées à Ailtech. Cette société n’avait plus qu’à procéder au montage, sans oublier d’estampiller l’appareil de la marque américaine et surtout de procéder, sur le prix de vente, à une multiplication par un coefficient très confortable. En réalité, les choses étaient un peu plus complexes car pour avoir le droit de mettre sa marque sur un appareil, les entreprises américaines doivent au moins concevoir ou fabriquer 20% de l’appareil.

            Plus tard, Joël Rémy, sous ADRET électronique, déposa un nouveau brevet le 31 décembre 1980 : « Synthétiseur de fréquence à multiplicateur fractionnaire». (FR 2497425), dont la concrétisation sera l’ADRET 740A. Par rapport au 7100, le 740A peut être considéré comme un appareil de très grande qualité et entrant dans la moyenne gamme, et surtout très bon marché par rapport à ses concurrents.
            Il est dit dans la notice du 740A :
            « – Le générateur à synthèse de fréquence 740 met en œuvre un procédé nouveau et original qui permet d’obtenir une excellente pureté spectrale tout en diminuant considérablement le nombre d’éléments nécessaires à la réalisation des parties fonctionnant en VHF».
            Là encore, il faut remarquer la créativité des ingénieurs qui travaillaient  pour ADRET.

            Les fondateurs d’ADRET…

            Les fondateurs d’ADRET électronique étaient Jean Royer, qui était plutôt l’administrateur, et Roger Charbonnier, l’auteur des brevets.


Jean Royer

Une recherche détaillée  sur http://ch.espacenet.com/intro/introfr.htm ,à Charbonnier Roger, donne un résultat de …106 brevets !
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Roger Charbonnie
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Mais attention, Le Roger Charbonner dont il s’agit est Charbonnier Roger Charles. En réalité, il y a eu un (ou plusieurs ?) Roger Charbonnier.

Pour être sûr de l’auteur du brevet, il faut vérifier s’il s’agit de Charbonnier Roger Charles d’une part, et, si le deuxième prénom n’est pas mentionné, vérifier la société qui demande

le brevet, ici ce ne peut-être que Rochar (contraction Royer et Charbonnier) ou Adret électronique.
En faisant le compte, on trouve quelques 70 brevets !
La créativité de cet homme fut extraordinaire
De plus, sa créativité s’étale sur plus de trente ans !
Etre créatif sur une aussi longue période !
Je n’en connais aucun exemple dans le monde de la physique.
Roger Charbonnier était diplômé de l’Ecole Supérieure de Physique et Chimie (maintenant ESPCI) et issu de la 59ième promotion (1941):


            Roger Charbonnier est en haut à gauche sur la photo de la promotion.

Un brevet «Etage de synthèse de fréquence ajoutant des grands pas de fréquence à une fréquence initiale»  FR2565437 fut publié le 21 juillet 1987 avec Joël Rémy.
En réalité, son premier brevet date de 1957.
Le dernier auquel j’ai eu accès date du 29 août 1989 «Oscillator, in particular a surface acoustic wave oscillator, frequency controlled by controlling its temperature»US 4862110, déposé aussi en français : «Oscillateur, en particulier à ondes acoustiques de surface, asservi en fréquence par commande de sa température. » FR2627645,  demandé par Schlumberger, le premier repreneur d’ADRET.
Charbonnier dépose des brevets de façon très régulière. Soit, le brevet était déposé en son nom propre, soit il était déposé en collaboration avec un ingénieur d’Adret.
Roger Charbonnier était un génie créatif, cela ne fait pas de doute.
Michel Martin raconte: «Charbonnier était un génie ! Quand Adret avait l’idée de faire un nouveau produit, Charbonnier s’enfermait dans son bureau dans lequel il y a avait un grand tableau noir. Une demi-journée plus tard, il en ressortait en ayant terminé de couvrir le tableau du nouveau schéma technique de l’appareil avec toutes les valeurs des composants ! A ce moment là, les ingénieurs du labo d’étude arrivaient et photographiaient le tableau. Ils repartaient ensuite développer la photo et commencer à monter le prototype…».

Ici, sur la photo, Roger charbonnier (au centre)  expliquant certains détails techniques. A gauche, un jeune brillant ingénieur, Joël Rémy. A droite, Jean Leroy, Directeur Commercial.

            Tous ceux que j’ai pu questionner au cours de mon enquête sur ADRET s’accorde à dire la même chose à propos de Roger Charbonnier : «C’était un génie !»

            Max Jourdran, raconta que Roger Charbonnier avait une approche de physicien vis-à-vis des problèmes. Il concrétisait ensuite, «électroniquement» ses idées.

Je me suis posé la question de la raison de l’incognito de certains génies sans trouver de réponse.
L’univers médiatique dans lequel nous vivons se prête assez bien à la célébrité.
Pour citer un exemple, prenons l’un des plus grands physiciens connu, Albert Einstein.
Quelles étaient les raisons de son succès populaire ? Celles-ci sont complexes. Chaplin avait dit à Einstein lors d’un bain de foule à New York :
« – vous savez, moi ils m’applaudissent parce qu’ils me comprennent ; vous, ils vous applaudissent parce qu’ils ne vous comprennent pas !»

Dans le cas qui nous occupe ici, Roger Charbonnier était et restera inconnu du grand public.
Peut-être est-ce dû au fait que l’électronique est une discipline moins noble que la physique, les mathématiques, la médecine, la paix ?
L’un des objectifs de ce site est justement de montrer qu’il existait, «dans une France du savoir faire» pour reprendre l’expression de Michel Martin,  des personnes d’une créativité hors du commun.

            Une petite enquête sur l’origine du mot ADRET, me donna l’origine du mot. Adret vient du vieux français ADRECHT qui signifie adroit…

            En réalité, Adret est un terme géographique de 1927 qui désigne les versants d’une vallée de montagne qui bénéficie de la plus longue exposition au soleil. Ce type de versant a d’ailleurs donné son nom à des villages dans les Alpes, notamment à celui des Adrets en Isère (38).

Michel Martin me raconta que c’est en revenant d’un séjour de vacances des Adrets que les fondateurs eurent l’idée de baptiser leur société ADRET. Ca sonnait bien. Mais cela ne voulait rien dire. Et la justification vint plus tard…En effet, quelque temps après, ils s’étaient rendus compte que l’Atelier de Recherches Electronique de Trappes pour ADRET était bien choisi ! En effet, l’entreprise était située à Trappes dans les Yvelines. L’analogie avec le versant exposé au Soleil , donc tourné vers la lumière, l’avenir !

            La société…

ADRET Electronique fut une société très célèbre en son temps. Elle était reconnue pour la qualité des appareils qu’elle mettait sur le marché. De plus, elle développait des appareils qui étaient adaptés au marché de l’époque. On était en plein développement des télécommunications dans les années 60-70 puis 80.
Les gens qui y travaillaient y allaient par passion…

 

              

 

                

 

                     

 

 

ADRET compta plus de 200 employés.
Voici une photo de la société ADRET à Trappes (78)

ADRET était propriétaire du bâtiment. Plus tard, ADRET acquis 2 étages d’un autre bâtiment situé à Trappes.

Les quartz

Au cours d’un entretien, Michel Martin me fit prendre conscience d’un élément essentiel  très important concernant les appareils ADRET, les pilotes à quartz.
Le quartz est un cristal d’oxyde de silicium SiO2.
Ce cristal possède la propriété d’osciller pour une fréquence très précise.
Le premier brevet sur les quartz fut publié le 3 avril 1923 sous le titre «Piezo electric resonator» US1450246. L’inventeur s’appelait W. G. Cady.
La piézoélectricité fut découverte par Pierre Curie en …



ADRET concevait des générateurs et synthétiseurs de fréquences. Il fallait pour générer ces fréquences avec précision avoir une référence très précise, c’était le rôle du pilote. Les pilotes utilisés à l’époque, et encore maintenant, étaient des pilotes à quartz. On arrive à avoir des fréquences très précises avec des tels pilotes. Le problème, pour les concepteurs, était de limiter les instabilités de fréquence des oscillateurs.
Comme les pilotes à quartz du marché (HP entre autre)  coûtaient un prix exorbitant et incompatible avec la mise sur le marché d’appareils ayant ’un rapport prix acceptable, ADRET décida de développer ses propres pilotes à quartz.
Les ingénieurs d’ADRET avaient découvert, en étudiant la fréquence de résonance du quartz en fonction de la température, un comportement étrange des cristaux de quartz. On observait, pour des coupes de cristaux de quartz bien précises (coupe AT) , que la fréquence de résonance augmentait avec la température, puis soudainement, sans que l’on comprenne pourquoi, la courbe s’inversait pendant un certain pallier de température avant de reprendre une croissance ordinaire. Ce pallier avait lieu vers 70 – 80°C. Pendant ce pallier, la fréquence de résonance variait peu. Ils constatèrent de même un nouveau pallier vers 110 – 120°C. Les ingénieurs mirent à profit ce phénomène pour concevoir un quartz thermostaté (qu’on appelle OCXO pour OvenizedQuartz Crystal Oscillators…)fonctionnant toujours dans le même intervalle de température, vers le point d’inversion du coefficient de température du quartz. En calant le circuit à cette température, on était assuré d’avoir une fréquence de résonance qui était très stable dans le temps.
D’autre part, Max Jourdran, nous a précisé qu’il fallait que le quartz puisse fonctionner à une température supérieure à celle de l’intérieur de l’appareil (soit disons, 60°C s’il faisait 40°C à l’extérieur, condition extrême…), car sinon, il aurait fallu refroidir le quartz !
Roger Charbonnier déposa un nouveau brevet le 20 avril 1983, «Oscillateur à quartz à faible bruit» n° 244 929, brevet dans lequel il explique que son invention confère au quartz «une très bonne stabilité à court terme de sa fréquence d’oscillation, c’est-à-dire une pureté spectrale élevée, sans pour autant que la stabilité à long terme soit dégradée.».
Un quartz, comme tout autre oscillateur, voit sa fréquence dériver d’une manière générale. C’est l’instabilité de fréquence. Mais qu’entend-on par instabilité à court terme et instabilité à long terme ?
L’instabilité à court terme a pour origine les perturbations aléatoires stationnaires de l’oscillateur, comme le bruit thermique par exemple (bruit ayant son origine du fait de la température du quartz, sachant que pour éliminer totalement ce bruit, l’oscillateur devrait fonctionner au zéro absolu des températures, soit –273,15 degré Celsius, soit, 0 Kelvin !).
L’instabilité à long terme est celle dont l’origine est la variation lente et systématique de certaines propriétés de l’oscillateur, c’est le vieillissement du cristal de quartz.
Comment un cristal de quartz vieillit-il ? En perdant peu à peu les impuretés qui se sont incrustées à sa surface, s’il fonctionne dans le vide. Dans ce cas, sa fréquence d’oscillation augmente lentement et constamment. Si l’oscillation a lieu dans un gaz, le contraire se produira puisque le gaz va se fixer peu à peu à la surface du quartz, et se fréquence d’oscillation diminuera.
D’une manière générale, la stabilité à court terme d’un quartz peut-être meilleure que celle d’un maser à hydrogène, un autre oscillateur de très grande pureté, qui est déjà en soi une prouesse technologique. C’est pourquoi on va coupler ces deux oscillateurs, à quartz et à hydrogène, en asservissement le quartz en phase sur le maser pour lui donner une stabilité à long terme.
L’invention de Roger Charbonnier fut mise à profit pour concevoir les pilotes 10 MHz à 10–9 dont furent équipés les générateurs ADRET.
Les cristaux de quartz en eux-mêmes étaient  taillés et fournis par la société CEPE (Compagnie d’électronique et de piézo-électricité) avec laquelle travaillait ADRET Electronique. Cette société, qui a déposé de nombreux brevets concernant les cristaux de quartz  n’existe plus.
ADRET passait les quartz fournis par CEPE sur un banc d’études spécialement conçu pour étudier la stabilité de ceux-ci. Ce banc avait pour fonction de déterminer la vraie température pour laquelle pour laquelle le coefficient de température de l’ensemble quartz + circuit électronique de régulation est nul. Cette température était donc toujours fonction du montage utilisé. La méthode utilisée pour cette détermination était une méthode digitale.

Le 18 février 1988, Roger charbonnier, déposa un nouveau brevet, «Oscillateurs en particulier à ondes acoustiques de surface, asservi en fréquence par commande de sa température». FR 2 627 645. Ce brevet concerne les oscillateurs SAW, à ondes de surface. Ces oscillateurs sont meilleurs que les oscillateurs à quartz et sont utilisés dans un domaine de fréquence beaucoup plus élevé, de 100 MHz à 1GHz.
Assez curieusement, la méthode utilisée dans ce brevet peut s’appliquer également aux quartz.
ADRET Electronique n’a pas eu le temps de matérialiser cette invention car c’était l’époque où elle fut vendue à Schlumberger.
ADRET a poussé l’étude de la stabilité des quartz jusque dans ses retranchements les plus ultimes pour atteindre une précision de 10–11. Ce que l’on pouvait  faire de mieux à l’époque.
Actuellement, l’étalon de fréquence Fluke 910 atteint une stabilité à court terme  de 5×10–12 avec un quartz thermostaté. La stabilité à long terme étant reçue des horloges atomiques au césium des satellites GPS. Difficile de faire mieux…


Concernant les quartz en général, on peut constater que  des milliers de brevets ont été déposés et qu’il s’en dépose un quasiment tous les mois ! C’est à croire que le sujet est inépuisable. En réalité, les applications du quartz couvrent  des domaines très variés comme par exemple la mesure précise de températures.
Hewlett Parckard a développé en son temps un thermomètre à quartz très célèbre auprès des laboratoires, le HP2804A avec lequel on pouvait espérer atteindre en «high resolution» le 1/1000ième de degré Celsius. Très impressionnant. Au passage, on trouve à l’intérieur le microprocesseur Motorola 6800 ainsi qu’un pilote à quartz 10 Mhz. Les sondes contenaient en fait un quartz dont la température variait linéairement avec la fréquence. La lecture de la fréquence du quartz de la sonde permettait d’obtenir sa température avec une table de calibration.
Là encore, la remarque de Max Jourdran, ramener la mesure d’une grandeur physique à une mesure de temps pour atteindre une grande précision, prend tout son sens.

Malheureusement, la fabrication de l’appareil a été abandonnée et on ne peut plus le trouver facilement. Il était vendu avec des sondes à quartz qui était calibrées avec l’appareil. Les sondes n’étaient pas réparables et probablement non interchangeables  et c’est peut-être ce qui explique la fin commerciale de cette merveille.

Le savoir qui se perd en France et ailleurs…

            Un mot est revenu régulièrement au cours de mon enquête et de mes interviews avec les anciens d’ADRET : «gâchis».
            Gérard Sauvage nous a précisé la difficulté de l’existence de l’esprit d’entreprise en France. Aux Etats-Unis, une société qui a des difficultés, licencie quelques employés le jour même où cela va mal. Cela peut même être des effectifs importants. Mais, s’il y a une reprise du marché, les licenciés sont réembauchés. Cette façon de faire ne pose aucun problème là-bas. En France, cette façon de procéder n’est pas acceptée. La lourdeur administrative française est à l’origine des difficultés des entreprises en France.
            D’autre part, Michel Martin nous a précisé également qu’ADRET était une petite entreprise dont les moyens financiers étaient limités. Quand ADRET vendait des instruments aux administrations (armées, etc…), celle-ci mettait 90 jours quand ce n’était pas 120 jours pour régler les factures. Inutile de dire que dans ces conditions, il fallait se serrer la ceinture. Cette façon de faire est de règle dans ce pays mais elle reste incompatible avec le développement des petites structures créatives.
            Aux Etats-Unis, cette façon de procéder n’est même pas envisageable. Il ne faut pas oublier que les salaires ne sont pas versés à la fin du mois mais à la fin de la semaine.
            Un autre détail important que m’a révélé Gérard Sauvage et que m’a confirmé Michel Martin est l’incompatibilité des petites structures comme ADRET vis-à-vis des grosses sociétés comme Schlumberger (qui était quand même spécialisée dans le pétrole, il faut le rappeler). A tel point que lorsqu’ADRET fut racheté par Schlumberger, Gérard Sauvage se souvient encore de ce que les gens de Schlumberger leur ont dit : «Maintenant, on va vous apprendre à travailler !». Il est inutile de préciser l’incompatibilité de fonctionnement entre ces deux entités.